Christophe & Nicolas (DPA France) :
Bonjour Lionel et bonjour Johan, pour parler de vous, de votre quotidien, vous nous parlez en direct de Los Angeles pour Coachella, nous savons qu’il est très tôt pour vous alors merci beaucoup de prendre ce temps !
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Lionel : Je suis Lionel Capouillez, je suis ingénieur du son depuis presque 20 ans, autodidacte après une courte formation de 3 mois, j'ai un studio à Bruxelles et depuis plus de dix ans maintenant je fais de la tournée (c’est ma sixième ou septième tournée déjà). J'ai surkiffé dès la première fois donc je jongle entre le studio et la scène et c’est vraiment très agréable.
Johan : Je suis mixeur retour depuis maintenant 25 ans. J'ai donc tourné avec pas mal d'artistes. J’ai déjà été à la face dans ma vie mais c’est vraiment les retours que j’adore.
Avez-vous commencé à travailler ensemble dès la première tournée ?
Lionel : Non, on a commencé à faire équipe sur la deuxième tournée, parce que l’ingé son de la première tournée n'était pas libre. On voulait quelqu'un qui vienne de Belgique parce que ce serait plus simple déjà pour les transports et puis pour l'équipe aussi, la plupart sont français mais on voulait qu'il y ait un peu plus de belges [Rire]. On s'est rencontré un peu par hasard lors d'un accueil façade. Et quand on m'a dit que ce serait lui, je me suis: «c'est trop cool, il est trop sympa en plus, ça tombe super bien». Depuis on a eu du mal à se lâcher [Rire].
Comment as-tu (Lionel) démarré l’aventure Stromae ?
Lionel : En fait je travaillais déjà avec lui en studio, j'ai fait son premier EP ensuite j'ai fait le premier album. Par la suite il a tourné tout seul pendant un an, il a fait beaucoup de promo en boîte de nuit, beaucoup d'événements juste en PBO (Playback Back Orchestra), et puis quand ils sont partis en live Paul a dit clairement: «moi je veux que ce soit Lio (Lionel) et personne d'autre, Il y n'a que lui qui connaît le projet aussi bien».
Du coup je me suis retrouvé au pied du mur en me disant: «zut je vais faire du live ce n'est pas vraiment mon truc» [Rire]. Et en fait je n'ai pas eu le choix, donc c'est venu très vite et ça s'est très bien passé, d’ailleurs je ne me suis pas arrêté depuis !
As-tu gardé une approche studio en Live ?
Lionel : Ce sont deux philosophies différentes dans le son et en même temps elles se rejoignent énormément. C'est à dire qu'à partir du live, ça permet de voir des choses pour le studio qui sont beaucoup plus efficaces et beaucoup plus rapide on se pose moins de questions on y va à l'instinct alors qu'en studio il vaut mieux réfléchir au mieux, se poser. Au final, avec le fait de faire les deux , on parvient à trouver un juste milieu où l’on est aussi efficace d'un côté que de l'autre et je trouve ça très complémentaire au final.
Comment se passe la répartition de ton travail studio Vs live ?
Lionel : C'est 50 - 50. Je suis tout seul au studio alors lorsque je ne suis pas au studio il n'y a rien qui tourne. Comme je mixe beaucoup “in the box” maintenant, je peux avoir la session avec moi et donc en cas de modification je peux toujours le faire sur place. donc ça m'arrive de faire des modifs pour des artistes dans un train, dans un avion, où dans une salle de concert aussi avant de commencer [Rire].
Avez-vous eu des challenges techniques sur cette nouvelle tournée ?
Johan : Il y a eu des challenges, on a des risers sur scène et en fait pour éviter pas mal de passages de câble sur scène, on est passé en HF sur tout ce qui est Talkback, guitare, etc ... On a aucun câble audio sur le plateau. C'est mon collègue Marius en charge de la RF qui gère ça et qui fait un super job. C’était un bon défi.
Avec la nouvelle scéno très impressionnante, y a-t ’il eut des conséquences sur votre travail au plateau ?
Johan : Il faut faire attention [Rire] c'est ça la recommandation. A part ça, oui c'est très impressionnant. il faut être attentif à ce qui se passe sur scène, mais comme on n'a pas de câblage ça enlève déjà une partie du problème. Concernant la « pollution sonore » il y a un bruit de fond mais ça n'est pas gênant. On gère ça très bien.
Lionel : Je pense au micro du chanteur de temps en temps, c'est relativement précis donc on l'entend fatalement, mais ce n'est pas dérangeant parce que ça reste un bruit de fond assez constant. C'est vraiment entre les morceaux quand il y a un vrai blanc qu’à ce moment-là il faut que je baisse le micro du chanteur parce qu’on entend la machinerie qui se met en route et c'est plus embêtant. Quand les machines accélèrent pour se mettre en place plus vite aussi là on entend. On pourrait faire les bruitages de Terminator assez facilement [Rire].
Quel est votre setup pour cette tournée ?
Johan : Moi je mixe sur une Quantum SD7 de chez DiGiCo, la redondance de la machine est super. On utilise du Shure pour les liaisons HF, des PSM1000 et du Axiente Digital pour la gestion du bruit des interférences ça marche très bien. Pour l'outboard j'utilise une Bricasti et un rack Waves. Et pour Lionel c'est un peu différent.
Lionel : Alors pour Coachella j'utilise aussi une SD7 de chez DiGiCo, parce que c'était plus simple pour nous dans le setup. Mais sinon moi normalement je mixe sur une Midas H3000 parce que j'aime beaucoup l'analogique ! Je trouve ça plus instinctif. Et donc on envoie le signal via fibre et on convertit à l'arrivée pour attaquer la H3000 en analogique. On évite de tirer 60 paires analogues [Rire]. Le fait d'avoir un bouton pour une fonction c'est quand même génial, trop d'aigus on tourne les aigus et c'est fait [Rire]. J'aime vraiment ça.
Lionel : En terme d'outboard comme il y a beaucoup de sources qui viennent d'ordinateurs, elles sont déjà pré-traitées, donc ça c'est quand même assez pratique. sinon c'est surtout pour ce qui prises micros, à ce moment-là on a des gates on a des compresseurs DBX 160A, DBX 160SL pour faire du sidechain, des Distressors pour la voix. On a la M3000, la Bricasti, une M One, un D-Two. Sur la chaine master j'ai un 31 bandes Klark Techniks qui va dans un Avalon 747 et qui retourne dans un SSL Fusion pour l'image stéréo et me permettre d'écarter et gagner un peu plus d'espace, je trouve ça assez intéressant.
En termes de patch que pouvez-vous nous dire ?
Johan : On est en retour sur 56 entrées. Tous les musiciens jouent avec 6 inputs stéréos. Il n'y pas de prémixes en local (on le fait sur certaines promos tv mais on évite)
Lionel : En facade on a dû rajouter des tranches stéréos sur la console à la place de mono pour que tout rentre. On a rajouté une mixette rackable pour les retours d’effets et la sortie de cette mixette rentre dans la H3000 pour récupérer tous les effets sur un gauche-droite.
Tous les effets sont gérés depuis la régie ? Aucune automation ?
Lionel : Non, aucune automation d’envoi d’effets. On a une automation des presets en midi par contre. On a surtout des Delays pour la voix du chanteur et des reverbs différentes selon les ambiances. Sur le charango, j'ai un effet qui permet de placer le charango à gauche et d'avoir le retour d'effet delay à droite, ce qui permet de ne pas encombrer le centre du mix (la voix) parce qu’il est sur les mêmes fréquences donc ça peut être embêtant.
A quel moment avez-vous rencontré le d:facto ?
Johan : Il y a un moment déjà, je faisais les retours pour Véronique Dicaire sur une première partie de Céline Dion et le mixeur retour que je connaissais (un québécois) m'a proposé d'essayer. La chanteuse et moi étions assez ravis du résultat, donc depuis j'ai une certaine tendance à appuyer pour avoir ce micro en particulier (Rire).
Lionel : Pour ma part j'ai découvert le d:facto quand on a fait Loïc Nottet en 2015, juste avant la tournée de Gims.
Et avez-vous déjà utilisé ou rencontré les 4006, 4011 ou autres micros-crayon DPA ?
Lionel : Oui je n’en ai pas moi, mais on a déjà fait des enregistrements ailleurs en en utilisant. Mon studio est prévu pour l’enregistrement, mais je manquais d'expérience en prise et c'était un projet assez important, donc je ne voulais pas prendre la responsabilité de gérer la batterie. donc, le studio avec lequel je travaillais avait vraiment l'habitude du rec de batterie et ils les ont utilisés en Over Head (micro crayons) . Franchement c’était vraiment super. Je compte en prendre bientôt [Rire].
Pourquoi le choix du d:facto ?
Lionel : Ça marche vraiment bien par rapport à ce qu'on avait avant, on a un son plus clair, plus cristallin, aussi on a un gros avantage c'est qu'on ne perd pas une partie de l'aigüe au bout d'un moment, il y a beaucoup moins de prise à l'humidité aussi. Ce qui nous a séduit au départ c’est la courbe de réponse en fréquences, on ne voulait pas quelque chose qui colore trop. Il y a une petite bosse sur la version V du d:facto mais elle n’est vraiment pas envahissante. On ne voulait pas trop de hautes fréquences, on a eu l’expérience avec d’autres micros qui, dès que le chanteur s’approchait de la face, ça partait tout de suite. Franchement ici, c'est que du bonheur, ça marche d'enfer ! Pour vous donner une idée, durant le show, Stromae fait un a cappella et il met le micro au centre de lui et des 5 musiciens. Il faut ouvrir la face et passer au-dessus du son des 10 000 ou 15 000 personnes qui font du bruit. Et avec le d:facto , ça a été la première fois que je pouvais me permettre de monter et de me dire waouh, ça assure. J’ai pu monter à un point ou je n’étais jamais encore allé.
Sur ce show vous avez d’autres instruments acoustiques qui jouent ?
Johan : Oui nous avons le Charango et les cordes sont repris avec les 4099 DPA, ainsi que des Rototoms. Et les musiciens sont équipés pour l’instant en Beta 58, on passe ça dans deux émetteurs qui sont dans le Riser : Un pour la voix en direct qui va à la face et chez moi, fatalement, et l’autre pour le talkback. La communication sur scène est quand même essentielle, quand ils ont besoin de modifications de mix. Concrètement j’écoute le mix de Paul tout le temps et donc l’idée c’est que j’ai fait un bus de Talkback qui revient dans mes oreilles en Auto Solo qui est une option vraiment très pratique. Et quoi qu’il arrive, les musiciens, le backliner et la façade peuvent me contacter, et je fais les modifications en fonction. Dû à la scénographie, on est dans le noir, il y a des ombres, donc on ne voit pas très bien ce qui peut se passer, c’est souvent plus facile d’appuyer sur une pédale et de dire : “Johan? ”. Ça facilite grandement la communication.
Vous êtes en tournée aux US actuellement, avez-vous vu des différences entre les deux cultures ?
Lionel : En terme technique il y a peu de différences, en termes de psychologie c’est un peu différent, il y a plus de syndicats, c’est plus strict et bien sûr on se plie aux règles. Par contre, en termes de son, de sonorité c’est très différent, le son est fort « agressif », ils sont plus axés sur le 3khz - 5khz qui sont beaucoup plus présents dans les productions et dans les lives. Parfois en fin de Show la personne qui m’accueille me dit : “ça te dérange si je prends une photo de l’EQ là ? “ [Rire], donc c’est plutôt chouette, c’est flatteur.
Dans ton travail tu parles de gommer l’agressivité du mix, penses-tu que ton travail en studio a une incidence en live sur ce point-là ?
Lionel : Oui ça vient du studio quand même, en session on essaye d’avoir la voix placée et quelque chose d’assez massif sans agressivité. Je pense que c’est quelque chose qu’on attrape dans l’oreille tout simplement, ce sont ces fréquences-là qui nous ennuient spécifiquement et on a tendance à les gommer. D’où l’Avalon qui permet d’aider à lisser ça.
Les américains écoutent beaucoup Stromae ?
Lionel : Et bien je ne sais pas s'ils écoutent chez eux [Rire] Mais il y a beaucoup d’affiches à Los Angeles (le long des autoroutes et dans la ville). Pas mal de gens se demandent qui il est et viennent en concert le découvrir. Bien sûr une partie connait déjà Stromae il y eu un Remix Tiktok de Alors on Danse qui s’est beaucoup propagé aux US et Kanye West a repris une chanson de Stromae en duo avec lui (il y a 11 ans). Une anecdote de tournée ?
Johan : Sur le Coachella précédent, j’ai vu 3 gardes du corps qui faisait 2 m de haut sur 3 m de large [Rire] arriver devant ma console. Je leur ai dit « poussez-vous !! » et en fait il s’est avéré que c’était les gardes du corps de Kanye West [Rire]. Le backliner a essayé de monter sur scène pour l’arrêter, il s’est retourné et il a compris que c’était Kanye West [Rire] Lionel : Moi à la face je ne comprenais rien, il faisait un peu sombre à ce moment-là, et tout le monde s’est mis à hurler, ça s’est rallumé et j’ai compris à ce moment-là. Je me suis dit : Ah d’accord ! [Rire].
Travaillez-vous avec d'autres artistes ?
Lionel : La tournée est prévue jusqu’à Juin 2023 donc, en général, je suis en tournée le weekend et en session studio la semaine. Je dois choisir parmi les projets.
Lionel ton activité au studio est plutôt de la prise de son, du mix, du mastering ?
Lionel : Je fais du mix uniquement, parfois je fais un mastering « maison » avec un plugin que j’affectionne particulièrement. Je conseille toujours aux artistes de passer dans un vrai studio de mastering ,mais parfois ils gardent simplement le master que j’ai fait.
Nous "sortons" de la crise covid et pendant la pandémie, comment avez-vous réussi à vous adapter ?
Johan : Et bien en fait je me suis mis à faire de l’installation, entre autre pour les institutions de la communauté européenne. J’avais un ami qui travaillait dans ce segment-là. Je ne regrette pas du tout, j’ai appris des tonnes de choses et ça faisait rentrer un peu d’argent, ce qui était pas mal.
Lionel : En fait pour ma part j’étais en pleine tournée avec Boulevard des Airs et tout s’est arrêté (Les salles de 5000 personnes ont fermé), je me suis retrouvé sans job du tout mais la semaine d’après les labels m’ont appelé en me demandant : « Tu n'as plus de tournées toi pour le moment? donc Tu es dispo ? », j’ai répondu « oui ». et en fait j’ai passé les 2 ans de pandémie au studio, j’ai eu beaucoup de chance par rapport à d’autres personnes.
Christophe & Nicolas : Merci beaucoup pour cet échange passionnant, on vous souhaite le meilleur pour l’avenir et on espère vous voir en chair et en os lors d’un prochain Show.
Lionel & Johan : Faites-nous signe, vous serez les bienvenus !
Distribution des microphones DPA en Belgique : Société Amptec Site web
Prestataire sur la tournée MPM AUDIOLIGHT : Site web
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